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elle pas le soleil vers lequel se tournaient sans cesse les yeux des orthodoxes ? Or, à Tsargrad, l’autocrator grec, littéralement adoré et encensé comme un dieu, était le gardien traditionnel de l’union de l’Église et de l’État, union qui pour lui, comme pour son clergé, revenait à la subordination de l’Église à l’État. L’empire grec écroulé, les tsars russes devaient se regarder comme les héritiers des empereurs d’Orient, s’en approprier l’étiquette et les prétentions, avec une double différence à l’avantage de l’Église russe. Dans la sainte Moscou, les murs du Kremlin n’ont jamais été souillés par les rites idolâtriques de la cour byzantine ; à Moscou, les tsars ne naissant pas tous théologiens comme les empereurs grecs, ni les Rurikovitch, ni les Romanof ne se sont, à la façon des Comnènes, ingérés dans les querelles de doctrine ou de discipline. Respectueux du dogme, il leur suffisait de tenir les pasteurs de l’Église dans leur dépendance. Pourvu que la doctrine demeurât intacte, le clergé, de son côté, acceptait la subordination de l’Église. Heureuse d’être honorée par le tsar orthodoxe, la hiérarchie sentait moins la suprématie du trône qu’elle n’en sentait la protection. Loin de se révolter contre le pouvoir suprême, l’Église se faisait un mérite de se montrer humble et soumise, se flattant d’être fidèle aux antiques traditions des Constantin et des Théodose, prétendant ainsi témoigner son esprit de paix et mettre en pratique la maxime : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Les conséquences du régime autocratique dans le gouvernement ecclésiastique ne se sont manifestées que peu à peu. Avant d’occuper dans l’État la place que lui a marquée Pierre le Grand, l’Église russe a passé par des phases fort diverses. Cette Église, dont toute la vie nous semble un sommeil de neuf siècles, a eu une existence active, vivante, souvent tragique. À notre étonnement, elle a une histoire aussi remplie et aussi animée qu’aucune[1]. La lente diffu-

  1. Les Russes, ecclésiastiques et laïques, l’ont plusieurs fois écrite. M. Mouravief, le frère du terrible général, l’avait ébauchée ; Mgr Philarète, évêque de