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à Jérusalem, on leur a préparé des refuges ou des hospices. Débarqués sur la côte inhospitalière de Palestine, sans autre bagage qu’une besace que chacun, homme ou femme, porte sur son dos, les pèlerins, le bâton à la main, s’acheminent lentement vers la cité sainte, en psalmodiant de saintes prières. Je les ai vus, pareils à nos pèlerins des Croisades, se prosterner et baiser la poudre de la route au premier aspect des murailles de la ville de David. J’ai rencontré à Bethléem, au Jourdain, à Tibériade, leurs longues et sordides caravanes, parfois escortées de zaptiés turcs. Les infirmeries des monastères grecs sont remplies des malades qu’elles sèment sur les sentiers de la Judée ; chaque printemps, des moujiks, encore vêtus de leur touloup d’hiver, ont la joie d’être inhumés dans la terre foulée par les pieds du Sauveur.

Ces milliers de pèlerins portent avec eux en Syrie la réputation de la piété et de la puissance de la Russie. Le gouvernement impérial a bâti pour ses nationaux, aux portes de Jérusalem, un immense couvent pareil à une ville. Non contents d’avoir, avec la France du second Empire, reconstruit la coupole du Saint Sépulcre, les Russes ont, en diverses localités de la Palestine, restauré des églises et fondé des écoles où l’on enseigne le russe et l’arabe[1]. Sur cette terre des Croisades, où les différentes confessions et les diverses nations chrétiennes sont en perpétuel conflit d’influence, la Russie, la dernière venue, a déjà su, comme patronne de l’orthodoxie, se tailler une place à part. Si jamais l’aigle moscovite vient à tremper ses ailes dans les eaux de la Méditerranée, ces pacifiques troupes de pèlerins pourraient bien frayer la voie à la conquête de nouveaux croisés.



  1. La Société russe de Palestine a ainsi fondé, en 1885 et 1886, deux écoles à Nazareth, et en 1887, une sorte d’école normale à Jérusalem.