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de fournir une arme de plus à ces vieux-croyants qui l’accusent déjà d’avoir altéré la liturgie. Ainsi s’explique le maintien de l’ancien style : l’omnipotence impériale n’a pas encore osé porter la main sur le calendrier. Dès qu’il s’agit de la conscience du peuple, l’autocratie ne se sent plus un pouvoir illimité. Sa toute-puissance a une borne, la foi, disons plus, le préjugé populaire.


Conunent la radiation de douze jours du calendrier ne serait-elle pas une grosse affaire dans un pays où le culte des saints est resté aussi primitif et aussi naïf ? La dévotion aux saints a, de tout temps, été l’une des marques de la piété russe. En peu de pays de l’Europe, la vie des saints, anciens ou modernes, a été aussi populaire. Si elle n’a pas encore eu ses Bollandistes, la Russie a eu sa « Légende dorée ». Ce sont, pour la plupart, des récits venus des Grecs ou des Bulgares, et enrichis à sa manière par le génie russe. Dans ces Vies des saints, d’ordinaire anonymes, les érudits modernes ont distingué des rédactions successives, d’abord courtes, puis allongées, puis de nouveau raccourcies. Cette hagiographie légendaire est une des branches les plus riches de la littérature populaire et, en même temps, une des sources les plus précieuses de l’histoire nationale[1].

On s’imagine souvent en Occident que l’Église gréco-russe ne compte dans son empyrée que des saints anciens, pour la plupart antérieurs à la séparation de Rome et de Byzance. Les écrivains catholiques répètent constamment que l’Orient, si riche en saints avant le schisme, n’en enfante plus depuis le schisme ; à les en croire, l’Église gréco-russe aurait même cessé d’en revendiquer, confessant elle-même sa stérilité[2]. Rien n’est moins vrai. De pareilles assertions

  1. Voy. par ex. M. Bouslaief : Istoritch. Otcherki Roussk. narodn. slovesnosti i iskousstva, II, p. 97-98, et M. Klioutchevski : Drevne-Rousskiia Jitiia Sviatykh kak istoritch. istotchnik.
  2. Ainsi, par ex. ; un des apologistes les plus distingués de l’Église catho-