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les chœurs des anges, doivent se suffire à eux-mêmes. Chose à remarquer, si, dans ses basiliques ou ses cathédrales, Rome a laissé pénétrer la musique instrumentale, les chefs de la hiérarchie romaine, les papes, ont, eux aussi, banni de leur chapelle tout instrument fabriqué de main d’homme. Dans tous les offices auxquels prend part le pape, ne retentit que la voix humaine ; l’orgue même est proscrit. Et ce n’est pas l’unique ressemblance entre la chapelle pontificale et l’église patriarcale de Constantinople. Il serait aisé d’en signaler d’autres, par la bonne raison qu’en dehors de Milan et du rit ambrosien, c’est à Rome même, autour du suprême pontife, que le rit latin <est demeuré le plus antique.

Strictement fidèle à ses maîtres pour la peinture, l’Église russe s’est, pour le chant religieux, émancipée de leur tutelle. Elle ne s’en est point tenue, comme eux, à la psalmodie nasillarde qui dépare les plus nobles hymnes de l’antiquité chrétienne. Le Slave russe s’est montré plus exigeant pour l’oreille que pour les yeux ; il ne s’est pas, comme les caloyers grecs, contenté de ces mortes canlilènes sans accords ni modulations qui rivalisent de secheresse avec les plus maigres figures byzantines ; il lui a fallu un chant vivant. Le sens esthétique l’a ici emporté sur l’ascétisme, soit que le Russe fût naturellement mieux doué pour la musique, soit que l’Église fût plus indulgente pour un art partout regardé comme un symbole et un avant-goût des joies du paradis.

Pour laisser plus de liberté au chant religieux qu’à la peinture, l’Église russe ne l’en a pas moins toujours tenu sous sa main. Alors même qu’à côté des modes de l’antique plain-chant elle admettait des tonalités nouvelles et des compositions modernes d’une facture plus compliquée, elle a toujours pris soin que la musique religieuse restât distincte de la profane et qu’on ne pût s’y tromper. Ce n’est point chez elle qu’on a jamais vu l’opéra envahir le sanctuaire, ou les fidèles prier le matin sur les airs qui les font