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tations religieuses ; M. de Morny, alors dans le voisinage du Val-Richer, à Deauville, disait à ce propos : « Comment, de notre temps, peut-on s’occuper de pareilles questions ? » C’était, il est vrai, à un banquet pour l’inauguration d’un chemin de fer. Bien des Russes, aujourd’hui encore, seraient de l’avis de l’homme d’État du second Empire. Il est peu de pays cependant où pareille opinion nous semble moins de mise. La religion y mérite d’autant plus d’attention qu’elle a gardé plus de prise sur les masses. N’aurait-elle d’autre attrait pour notre curiosité, que l’étude en serait encore pour nous un moyen de connaître le peuple, de pénétrer ses sentiments et ses instincts, de le saisir dans ce qu’il a de plus intime ou de plus spontané.

Les religions sont comme des moules où les générations se viennent successivement modeler, et dont souvent l’empreinte persiste après que le moule est brisé. Parfois, au contraire, la religion se moule elle-même sur le peuple qu’elle prétend former à son image. Ainsi en est-il notamment des sectes russes. En Russie, l’empreinte religieuse, chez le peuple du moins, est d’autant plus marquée que la religion est demeurée plus nationale, plus populaire ; que, dans les sectes, elle a pris quelque chose de plus personnel, de plus russe. C’est dans le vaste champ de la religion, dans les aériennes et nébuleuses régions de la théologie, que l’esprit encore inculte du peuple a pu jusqu’ici se donner le plus librement carrière. L’étudier dans ses croyances, c’est étudier l’ethnographie russe dans ce qu’elle a de plus relevé, non seulement dans les coutumes ou dans les vêtements du paysan, mais dans son esprit, dans son âme et sa conscience.

Est-ce là le seul intérêt d’une pareille étude ? Nullement. À cette sorte d’intérêt à demi scientifique, à demi littéraire, s’en joint un autre au moins égal, l’intérêt politique. En examinant la religion du peuple, en scrutant ses croyances, en considérant l’Église qui l’a instruit et les sectes qui l’attirent, nous sommes persuadé que nous