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d’Orient préfère, en effet, célébrer la nuit de la résurrection. La foule, rassemblée au pied de la tour d’Ivan Veliki, entre les vieilles « cathédrales » du Kremlin, attend, des cierges en main, l’annonce que le Sauveur est ressuscité. À minuit, les cloches, qui bourdonnaient sourdement, éclatent de toutes parts en joyeuses fusées, pendant que les têtes se découvrent, que les cierges s’allument et que le canon gronde au loin. La liturgie de cette nuit de Pâques peut fournir un exemple du symbolisme historique habituel au rite gréco-russe. À l’heure marquée, après le chant des psaumes, l’évéque, ou le prêtre qui officie, s’approche de l’iconostase qui cache le sépulcre ; les portes royales s’ouvrent, l’officiant va au tombeau, il lève le suaire et voit que le Sauveur n’y est plus. Alors, au lieu d’annoncer la résurrection, il hésite comme les disciples de l’Évangile. Il sort de l’église avec son clergé, à la recherche du Sauveur disparu ; puis, rentrant dans le temple, il annonce aux fidèles que le Christ est ressuscité, et entonne un hymne de triomphe. Certes ce symbolisme ne peut être toujours aussi transparent ; le peuple ne le comprend pas toujours ; il n’en prend pas moins part à l’allégresse et au deuil de l’Église, pleurant et se réjouissant avec elle. Le jour de Pâques, il y a quelque chose de touchant à voir les hommes de toute classe s’embrasser, au cri de « Christ est ressuscité », en échangeant des œufs de PAques, antique emblème de la résurrection[1].

En dépit de la beauté de ses rites bien dignes d’inspirer le poète et l’artiste, l’Église gréco-russe n’a pas ouvert à l’art les mêmes horizons que l’Église latine. De ses splendides iconostases, de ses sombres absides, il n’a rien surgi de comparable aux vierges d’un Raphaël ou d’un Corrège,

  1. Comme en Occident, les fêtes de l’Église ont inspiré des chants populaires, chants de la Nativité, chants de la Passion, chants de Pâques. Ceux de la Petite-Russie se font remarquer par l’humeur railleuse de ses Cosaques. Gogol en avait recueilli et copié de sa main. Voy. p. ex. la Kievskaïa Starina, avril 1882.