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sorte de rite ; elle a des formes consacrées, formes toutes nationales, car elles sont en grande partie étrangères aux Grecs.

L’orthodoxe, le Russe surtout, prie d’habitude debout, conformément aux usages de l’Église primitive ; mais, durant sa prière, le Russe ne reste pas en repos. Le corps y semble prendre autant de part que l’esprit : le moujik prie avec tous ses membres. Pendant les offices il passe son temps à se signer de grands signes de croix, levant à la fois la tête et la main droite, puis se courbant en deux entre chaque signe de croix, et se redressant aussitôt pour recommencer sans fin. Les plus pieux s’agenouillent et se prosternent à intervalles réguliers, se relevant vivement pour se prosterner de nouveau, comme s’ils étaient contraints à cette sorte de pénitence. Les saluts répétés qu’ils adressent ainsi à l’autel ou aux saintes images, rappellent ceux que le serf prodiguait naguère à son seigneur ; pour nous Occidentaux, ces profondes et rapides inclinations ont quelque chose de servile et de fatigant. Dans une église russe, un étranger a peine à ne pas être étourdi par le balancement de la foule qui oscille autour de lui. Cette tenue à l’église, où le corps s’agite sans cesse, rappelle moins la grave attitude de l’Orante chrétienne des Catacombes que la prière musulmane, elle aussi, accompagnée d’inclinations et de prosternements réglés par l’usage. Comme celle de l’invocateur d’Allah, la prière russe est un véritable exercice, une espèce de gymnastique sacrée. Si les classes cultivées ont, sous l’influence occidentale, abandonné cette religieuse pantomime au bas peuple, ce dernier y paraît fort attaché. Il n’a point l’air de savoir prier autrement. Beaucoup semblent embarrassés de leur personne lorsque, durant les longs offices, la fatigue les contraint à suspendre leurs signes de croix et leurs prosternements. J’en ai vu ne s’arrêter qu’après des centaines de génuflexions.

On ne lit point ou on lit peu dans les églises russes.