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deux camps opposés. Catholiques et protestants, qui d’ordinaire lui font des reproches contraires, l’ont également accusée d’étouffer la religion sous les pratiques extérieures. La principale cause de ce formalisme byzantin, transmis à l’Église russe par sa mère du Bosphore, c’est d’abord l’esprit oriental ; c’est ensuite, comme nous l’avons dit, l’histoire, la longue ignorance, l’état de civilisation de la plupart des nations orthodoxes ; c’est enfin, chez les Russes, le caractère réaliste du peuple, son attachement inné au rite et aux cérémonies, si bien que les corrections liturgiques les mieux justifiées ont été, pour lui, le point de départ d’un schisme obstiné.

Le respect du rite, de l’obriad, comme disent les Russes, est tellement naturel à ce peuple, qu’il se retrouve partout chez lui, dans la vie domestique presque autant que dans la vie religieuse. Sous ce rapport, il n’est pas sans ressemblance avec son lointain voisin, le Chinois. Pour tous les actes de la vie humaine, le paysan a des formes et des formules qu’il conserve religieusement. À côté des fêtes ou des cérémonies de l’Église, il a, pour la naissance, pour le mariage, pour la mort, des cérémonies traditionnelles, souvent compliquées de véritables rites civils, qu’il observe avec presque autant de ponctualité que les rites prescrits par l’Église. C’est ainsi que, pour le mariage, les fêtes domestiques du moujik constituent un véritable poème en action, une sorte de drame à plusieurs personnages, avec chants et chœurs à l’antique, joué depuis des siècles de génération en génération[1].

On sent ce qu’un pareil esprit a pu produire en religion. Le Russe a, en quelque sorte, renchéri sur le formalisme byzantin. Il ne s’est pas contenté d’être fidèle à tous les rites de l’Église ; il en a mis là même où l’Église ne lui en imposait point. Ainsi de la prière elle-même. Pour lui, la prière, l’entretien de l’âme avec son Rédempteur, est une

  1. Voy. Ralston, The Songs of the Russian people.