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blant à la fois aux uns et aux autres, ils sont, sur ce point, demeurés également éloignés de Rome et de la Réforme. Il en est de l’Église russe elle-même comme de sa langue liturgique. L’orthodoxie orientale est à une distance presque égale du catholicisme romain et des sectes protestantes qui se disent orthodoxes. Vis-à-vis des deux grands partis qui, depuis le seizième siècle, divisent le christianisme occidental, l’Orient se trouve, à plus d’un égard, dans une situation intermédiaire et comme moyenne. Par sa conception de l’autorité et de l’unité de l’Église, par la liberté de l’interprétation du dogme, par la constitution et la discipline de son clergé, par son mode de gouvernement, ses relations avec l’État et les fidèles, par tout le côté moral et politique du christianisme, par l’esprit, sinon par les pratiques du culte, l’orthodoxie diffère presque autant de Rome que des filles révoltées de Rome. Contrairement à l’opinion vulgaire, elle est peut-être moins voisine de la papauté romaine que des églises épiscopales sorties de la Réforme. Le pauvre prince d’Anhalt, père de Catherine II, n’était pas en réalité aussi dupe qu’il en avait l’air, alors que, pour la conversion de sa fille à l’Église russe, il se laissait persuader que luthéranisme ou culte grec, c’était au fond à peu près la même chose[1].

L’immobilité séculaire de l’Orient explique cette position intermédiaire entre les Églises de l’Occident. Assoupie durant près de mille ans et comme pétrifiée dans ses traditions, pendant que catholiques et protestants développaient chacun leur principe, les uns marchant à droite vers l’autorité et la centralisation, les autres à gauche vers le libre examen et l’individualisme, l’orthodoxie gréco-russe s’est, au sortir de son isolement, réveillée à un intervalle presque égal des deux grands partis dont la rupture a déchiré le monde occidental. Cela ne veut point

  1. Voyez l’étude de M. A. Rambaud sur Catherine II : Revue des Deux Mondes du 1er février 1874.