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qu’il plaisait au souverain de les y maintenir ; la plupart s’appliquaient uniquement à prendre le vent qui soufflait à la cour. Si la Russie pouvait citer quelques démissions isolées, elle ne connaissait pas les démissions collectives, déterminées par un acte de politique générale. C’est sous Alexandre III, en 1881, que Pétersbourg a pour la première fois assisté à un pareil spectacle, et, pour faire admettre des démissions aussi insolites, les ministres, qui se retiraient simultanément, ont dû les échelonner à quelques jours de distance, et mettre presque tous en avant leur mauvaise santé, comme si une subite épidémie eût frappé les hôtels ministériels.

La retraite volontaire de trois ou quatre ministres du tsar, en 1881, restera dans l’avenir comme un exemple et un précédent significatif. C’est la marque de la révolution, qui, en dépit de tous les obstacles, s’accomplit peu à peu dans les mœurs gouvernementales. On sent de plus en plus que les différents ministères ne peuvent demeurer isolés, qu’ils doivent cesser de former un État dans l’État et d’agir chacun pour leur compte. Parmi les plus conservateurs des personnages politiques, comme parmi les plus enclins aux nouveautés, se restreint chaque jour le nombre des hommes disposés à gouverner sans s’inquiéter du choix et des vues de leurs collègues. Quoi qu’on fasse, en effet, de quelque esprit et de quelques conseils que s’inspirent les successeurs d’Alexandre II, il importe que le gouvernement ait une direction. Or, avec des ministres désunis, sans solidarité entre eux, il ne saurait y avoir ni plan de gouvernement, ni direction suivie, ou, ce qui revient au même, il y en a plusieurs à la fois. En Russie comme ailleurs, un ministère sans programme commun sera toujours un gouvernement sans programme.

La chose est si claire que j’ai entendu un Russe, fort au courant de son pays, ce qui n’est pas si fréquent qu’on le pense, soutenir que l’empereur Alexandre III n’avait qu’une chose à faire, appeler un des hommes politiques