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liberté qui fait défaut à des peuples plus libres. Comme ces temples de l’Égypte, demeurés intacts pendant des siècles sous le sable du désert ou sous le limon du Nil, la commune russe, enfouie sous l’autocratie et sous le servage, s’est d’autant mieux préservée qu’elle échappait aux regards et à la main des hommes.

L’antiquité du mir en fait l’originalité. Chose rare en Russie, le régime communal est tout russe, tout national. Ce n’est pas, comme tant d’autres institutions de l’empire, une copie ou une imitation de l’étranger, quoiqu’à l’étranger on retrouve, dans le moyen âge, bien des coutumes analogues. La commune est née et a grandi sur place ; à proprement parler, c’est, en dehors de l’autocratie, la seule institution indigène, la seule tradition vivante du peuple russe. Loin d’être un simple rouage de la machine administrative, elle est antérieure à toute l’administration créée par les oukazes impériaux ; à ce titre elle mérite d’être étudiée avant l’administration centrale ou provinciale.

La commune russe dérive tout entière de la communauté des terres encore en vigueur chez le paysan ; le mode d’administration n’y est en grande partie qu’une conséquence du mode de propriété. La communauté des terres et la solidarité des impôts nouent entre les habitants d’un même village, entre les copropriétaires du sol, des liens beaucoup plus étroits qu’il n’en peut subsister au sein de nos campagnes. Sous un pareil régime, la commune est une famille ou un clan, une association autant qu’une circonscription administrative. Elle a naturellement une sphère d’activité bien plus large, une compétence bien plus étendue qu’en Occident ; elle tient une bien autre place dans la vie des hommes et affecte bien plus profondément leurs intérêts et leur bien-être.

Cette commune russe n’a pas été érigée par la loi, elle a précédé toute législation, et la loi n’a guère fait qu’en reconnaître, qu’en enregistrer l’existence. Le pouvoir central a voulu la réglementer ; mais, en fait, elle reste sous