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mais tout, ô souverain, dépend de ta volonté, fais ce qu’il te plaira ». Les mœurs ne sont plus pour cela assez patriarcales. Puis, ce dont le pays et le gouvernement ont avant tout besoin, c’est moins d’avis que de contrôle. Enlever ce droit de contrôle à une assemblée, ce serait la priver d’avance de sa principale raison d’être.

Une chambre, consulte ou autre, à laquelle on ne soumettrait pas le budget de l’État, semblerait, à ses propres membres comme au pays, de peu d’utilité ; et comment soumettre les finances de la Russie à ses représentants, pour ne leur laisser d’autre soin que celui de vérifier les comptes ou de solliciter de platoniques économies ? Le contrôle de la fortune publique sera toujours et partout le premier souci des délégués de la nation, et, ce contrôle une fois admis, il est difficile de leur contester longtemps le vote de l’impôt, lequel seul entraîne tôt ou tard une participation à l’exercice de la souveraineté.

Ce serait une illusion de croire qu’on puisse longtemps réunir une grande assemblée représentative sans lui accorder aucun pouvoir effectif. Chez nous aussi, au dix-huitième siècle, on avait fait un pareil rêve. Turgot conseillait à Louis XVI, en 1775, de convoquer chaque année une assemblée qui se serait occupée d’administration et jamais de gouvernement, qui aurait eu plutôt des avis à donner que des volontés à exprimer et eût été chargée de discourir sur les lois, sans les faire[1]. « De cette façon, disait Turgot, le pouvoir royal serait éclairé et non gêné, et l’opinion publique satisfaite sans péril. » Qui ne sent aujourd’hui l’utopie d’une telle combinaison ? Si, douze ou quinze ans avant 1789, Louis XVI eût obéi à l’avis de Turgot, il eût eu bien des chances d’écarter la révolution ; mais l’assemblée par lui convoquée ne fût pas restée des années purement consultative. Une représentation nationale est comme le flux de la mer, il est difficile de lui dire : tu n’iras pas plus loin.

  1. Tocqueville : Ancien régime, liv. III, chap. i.