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dans cette voie, on n’était pas certain du point où l’on s’arrêterait. « Messieurs, dit-il dans un conseil, ce qu’on nous propose, c’est l’assemblée des notables de Louis XVI. Il ne faut pas oublier ce qui suivit. Si pourtant vous jugez cela utile au pays, je ne m’y oppose point[1]. »

La proposition fut discutée dans un conseil où assistaient plusieurs grands-ducs, notamment le tsarévitch ; depuis Alexandre III. Après une longue délibération, le projet, vivement soutenu par le général Loris-Mélikof, par M. Abaza, par le comte Valouief, avait été adopté en principe. Une commission avait été chargée d’en étudier les détails et d’en formuler les bases. Elle s’était réunie au palais Anichkof, chez le grand-duc héritier, dont on tenait naturellement à avoir l’approbation. Ce prince, du reste, avait été de prime abord sondé par le général Loris-Mélikof, auquel il n’avait point refusé ses encouragements.

Au mois de février 1881, la Russie était de cette façon à la veille de nommer une assemblée représentative, ce qui eût été le point de départ d’une transformation dont rien ne marquait le terme. La décision était prise, la nouvelle charte rédigée avec l’approbation du souverain et de son héritier. Une sorte de fatalité en arrêta la promulgation et rejeta, pour longtemps peut-être, la Russie dans l’inconnu.

D’un caractère enclin à la procrastination, absorbé à cette époque par les tardives joies de son récent mariage morganatique, Alexandre II remit à quelques semaines, après le carême, après les fêtes, la publication de l’acte dont dépendait l’avenir de l’empire et sa propre existence. Il avait oublié que le lendemain n’est à personne. Ce n’était point, semble-t-il, qu’il fût incertain et voulût revenir sur sa résolution. Chose tragique, et qui montre à quoi tient

  1. Je tiens ces détails et ceux qui suivent de source sûre, notamment de l’un des ministres de cette époque. J’avais déjà, au lendemain de la mort d’Alexandre II ; annonce que ce prince était sur le point de réunir une assemblée nationale ; mais je ne savais pas alors exactement dans quelles conditions. (Voy. la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1881, p. 666.)