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Pétersbourg qui, dans son projet de statut bulgare, s’était également arrêté à une seule chambre, ce mode de représentation avait peut-être l’avantage de moins ressembler à l’appareil habituel du régime parlementaire. Aussi n’y aurait-il pas lieu de s’étonner si, en se décidant à faire à ses sujets le même présent qu’à ses protégés du Balkan, le gouvernement du tsar recourait, lui aussi, à une assemblée unique, sauf peut-être à se repentir plus tard de n’avoir pas tenu plus de compte des leçons de l’histoire et de l’expérience d’autrui.

Une chose pour nous certaine, c’est que, appelés à l’instar des notables bulgares à voter une constitution, les Russes ne seraient guère plus favorables à l’érection de deux chambres que les constituants de Tirnovo. À Moscou comme à Tirnovo, les Occidentaux ou les parlementaires seraient, sur ce point, à peu près sûrs d’une défaite.

Au peu de goût des Russes pour le régime de deux assemblées, il y a, outre le désir assez général de se singulariser, deux raisons au fond du même ordre. Qu’est-ce après tout, disent certains patriotes, que cet ingénieux mécanisme de deux chambres, que tout ce système compliqué de poids, de contrepoids et d’équilibre parlementaire ? Qu’est-ce en réalité, si ce n’est un signe et une conséquence de l’antagonisme des forces et des pouvoirs, antagonisme qui en Occident se retrouve partout, dans le présent et dans l’histoire, dans l’État et dans la société ? Chez nous, où entre les différentes classes, où entre le peuple et le souverain, il n’y a jamais eu ni les mêmes défiances ni les mêmes luttes, chez nous où il n’y a ni les mêmes chocs ni les mêmes frottements, à quoi bon tout ce lourd appareil de freins et de tampons qui ne ferait qu’embarrasser et paralyser le libre jeu des institutions ?

Cette prévention s’appuie d’ordinaire sur un préjugé d’un ordre analogue. À la plupart des Russes, en cela d’accord avec les Slaves du sud, une chambre haute fait toujours plus ou moins l’effet d’une assemblée de privilégiés ;