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Cette prétention, fort naturelle et rationnelle, si elle se borne à des nécessités d’adaptation ou même au moule des institutions et à leur empreinte nationale, est insoutenable si elle s’étend au fond des choses et à l’essence même de l’État. Quelles formes de gouvernement non encore découvertes et quelles secrètes inventions politiques, quelles profondes conceptions de la liberté et quels nouveaux moyens de la réaliser se peuvent rencontrer chez des peuples qui n’ont ni institutions ni traditions politiques d’aucune espèce ? Les institutions doivent, dit-on, sortir du sol national, mais où en prendre chez les Slaves les racines ou la semence ? Si, en Russie et ailleurs, ils en ont jadis possédé le germe dans leurs vetchés ou leurs doumas, la graine en a été flétrie et desséchée par les siècles ; loin d’avoir encore la force de lever, elle a depuis longtemps perdu toute vertu germinative. Où sont les institutions slaves qui peuvent servir à la Russie de type ou de modèle ? Les faut-il chercher dans le passé, en Russie même, dans le sobor ou la zemskaia douma des seizième et dix-septième siècles ? Mais ces assemblées moscovites ne conviendraient guère mieux à la Russie contemporaine que nos États généraux, composés de trois ordres, ne siéraient à la France aujourd’hui[1]. Le tsar convoquerait le zemskii sobor, qu’ainsi que nos États généraux de 1789, l’antique assemblée moscovite ne saurait longtemps siéger sans se transformer en une chambre ou un parlement à la moderne. Cette originalité slave, faut-il l’aller chercher dans le présent, à l’étranger, chez les petits peuples du Balkan congénères de la Russie, dans la skouptchtina et la consti-

  1. Un savant russe, M. Serguéiévitch, a fort bien montré que le sobor moscovite n’avait rien de réellement original, rien qui le distinguât essentiellement de nos États généraux, par exemple. Voyez le Recueil des sciences politiques de M. V. Bezobrazof (Sobranié gosoud, snanii), années 1875 et 1880. Le grand historien Kostomarof, qui semblait soutenir la thèse contraire, a reconnu, dans une polémique avec le 'Novoé Vrémia (mai 1880), que le sobor russe ne différait guère des assemblées contemporaines de l’Occident que par l’esprit, par sa docilité et son humilité vis-à-vis du tsar.