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bas Volga, l’Oural ou la Sibérie, auxquelles leur éloignement risque d’inspirer tôt ou tard des velléités autonomistes. En dépit de l’unité, de l’homogénéité du fond national, c’est là une des difficultés de l’avenir de la Russie, difficulté qui tient à ses dimensions mêmes. Le problème de son organisation future en est assurément plus ardu ; la solution n’en sera sans doute trouvée qu’à travers des années de tàtonnements, et peut-être à travers des siècles de luttes et de discordes.

Est-ce à dire que ce soit là un obstacle insurmontable ? L’exemple de l’Autriche-Hongrie, dont la composition ethnique est singulièrement plus compliquée, où l’État même n’a pour base aucune nationalité dominante, me semble prouver le contraire. Il se peut que, malgré la puissance et la cohésion du vieux noyau national moscovite, une Russie politiquement émancipée offre un jour un spectacle plus ou moins analogue aux démêlés nationaux de la Cisleithanie. Il se peut que, chez elle, le vingtième siècle soit en grande partie rempli par le conflit des éléments centripètes et centrifuges, des forces unificatrices et des instincts autonomistes ; c’est là, quelle que soit la forme de son gouvernement, une perspective dont rien ne saurait entièrement la préserver. De pareilles luttes ne seront que la rançon de sa grandeur ; elle n’y saurait échapper qu’en revenant en deçà des frontières antérieures à Pierre le Grand ou à Alexis Mikhaïlovitch.

Pour la couronne et la dynastie, du reste, de semblables discordes ne seraient pas sans compensation. Les compétitions de race et de nationalité, au sein d’un même empire, tournent souvent au profit du sentiment monarchique. La monarchie et le pouvoir héréditaire y peuvent trouver une raison d’être de plus, y peuvent puiser un ascendant qu’ils ne sauraient posséder au même degré en des pays dont l’unité est plus ancienne ou moins contestée. Pour cela, le trône n’a qu’à s’ériger en arbitre des diverses nationalités, à empêcher leur oppression réciproque, à jouer entre elles