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quelques riches néophytes, tels que le docteur Weimar de Pétersbourg, condamné en 1880 ; tels que Dmitri Lizogoub, exécuté en 1879, sur la dénonciation de son intendant Drigo, pour avoir consacré sa fortune à la propagande et aux conspirations (il avait dans ce dessein vendu des terres d’une valeur de près de 200 000 roubles[1]). Plus d’un propriétaire ou d’une grande dame a été soupçonné d’imiter à l’occasion de pareils exemples et de dissimuler ses offrandes révolutionnaires sous le masque d’œuvres de bienfaisance[2]. D’autres fois, mais plus rarement encore, quelque riche capitaliste a pu impunément commanditer les feuilles radicales du dedans ou du dehors[3].

A côié des soldats du « nihilisme », il s’est parfois rencontré des gens moins résolus qui, n’osant lui immoler leur vie, lui sacrifiaient un peu de leur argent. La Narodnaïa Volia a plusieurs fois mentionné de ces souscriptions anonymes de donateurs inconnus. Voici, à cet égard, une ahecdole que je tiens d’un réfugié qui la tenait lui-même du héros de l’aventure. Un propriétaire, qui passait pour conservateur, avait été soigné d’une maladie grave par un jeune médecin qu’il soupçonnait de connivence avec les révolutionnaires. « Tenez, dit en le payant, à son docteur, le malade une fois rétabli, voici deux cents roubles pour la dynamite, et qu’on en finisse ! »

Non contents de ces dons spontanés, les révolutionnaires y ont parfois ajouté des contributions forcées, levant d’autorité des impôts de guerre sur tel ou tel sujet du tsar. Plusieurs riches marchands ont été ainsi taxés par des correspondants anonymes aux ordres desquels tous n’o-

  1. Procès des Seize en 1880.
  2. Plusieurs romanciers russes, entre autres feu Markevitch dans son dernier récit, intitulé l’Abîme (1884), ont mis en scène de ces affidés nihilistes du grand monde.
  3. On a prétendu que Herzen avait reçu, par testament d’un de ses compatriotes, des capitaux qui, après avoir servi à éditer le Kolokol, auraient été transmis, comme fonds de propagande révolutionnaire, aux continuateurs de Herzen, spécialement au colonel Lavrof. La famille de Herzen a démenti cette histoire comme une fable.