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désir de ne pas dépouiller leur parti de son mystérieux prestige. Tout porte à penser que Jéliabof et ses amis du congrès de Lipetsk constituaient en réalité ce fameux « comité exécutif » dont le seul cachet faisait trembler, d’un bout de l’empire à l’autre. Autour d’eux il semble qu’il n’y eût même pas de vaste société secrète à cadres réguliers, mais seulement des cercles révolutionnaires, disséminés dans les villes de l’empire et reliés ensemble moins par une organisation hiérarchique que par les relations personnelles de leurs membres et la communauté de leurs aspirations. Lorsque, pour l’exécution d’un de leurs attentats, les conjurés avaient besoin d’aides, ils en embauchaient sur l’heure dans la jeunesse révolutionnaire, ou dans leur société ouvrière (rabotchaïa droujina), remplaçant leurs complices arrêtés par des recrues nouvelles. Pour enrôler des volontaires tels que Ryssakof et Timothée Mikhaïlof, ils n’avaient qu’à s’adresser aux étudiants en détresse ou aux artisans sans passeports, pourvus par eux de faux noms et de faux papiers.

Le gouvernement impérial s’est plusieurs fois flatté d’avoir mis la main sur les principaux chefs des conspirations. La potence et le bagne ont eu raison de la plupart des membres du congrès de Lipetsk et, sans doute aussi, du comité exécutif. C’est là pour le pouvoir un motif de sécurité ; et cependant, à tout bien considérer, le petit nombre des conjurés qui durant quatre ans ont terrorisé l’empire est peut être autant un sujet d’appréhension que de tranquillité pour l’avenir. Il est peu rassurant de penser qu’une poignée de jeunes gens a pu si longtemps défier tous les efforts du gouvernement. La satisfaction de s’être emparé d’une partie au moins des membres du comité exécutif diminue singulièrement, quand on songe avec quelle facilité s’était formé ce comité sans précédent, et combien il lui est aisé de compléter ses vides ou de ressusciter de ses cendres. Les Jéliabof et les Kibaltchich peuvent trouver des imitateurs : uno avulso non deficit