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le pays même de l’Europe où elle est encore le moins répandue, la science peut, comme un sorcier du moyen âge ou un démon malfaisant, mettre les forces latentes de la nature au service de la folie d’enfants exaltés ou du fanatisme d’écoliers en révolte. Il n’est pas bien difficile à un élève de l’École des mines, tel que Kibaltchich, l’un des assassins d’Alexandre II, de fabriquer de la dynamite ou de la nitroglycérine, dont il trouve la formule dans ses manuels ; et, avec une police aveugle ou démoralisée, il n’est pas bien malaisé à quelques jeunes ingénieurs d’exercer leurs connaissances sans emploi en creusant des mines sous une voie ferrée pour faire sauter un train impérial.

Deux ou trois douzaines de jeunes gens résolus, ayant fait « un pacte avec la mort », ont durant des années tenu en échec le gouvernement du plus vaste empire du monde.

Les quinze membres du congrès de Lipetsk n’étaient pas seulement les délégués des sections révolutionnaires et les chefs du parti, c’étaient ses principaux agents d’exécution. Ils ne se contentaient pas d’ordonner et de diriger les complots, ils mettaient eux-mêmes la main à la besogne, creusant les galeries souterraines et forgeant les projectiles, à la fois généraux et soldats, ingénieurs et ouvriers[1].

La plupart des conspirateurs, jusqu’aux organisateurs manifestes des complots, tels que Jéliabof, se sont donnés devant les juges comme de simples instruments d’un comité exécutif invisible. Sur ce point il n’en faut pas trop croire leur modestie ; elle leur était inspirée par le naturel

  1. Un petit volume italien qui porte comme garantie de son origine une préface de P. Lavrof, la Russia sotterranea de Stepniak (Milan, 1882, traduction français de 1885), avoue le petit nombre des conspirateurs. Conformément au principe de Machiavel à propos des conjurations : i molti le guastano, l’auteur attribue à ce petit nombre les sanglants succès de ses amis. Un autre écrivain révolutionnaire, L. Tikhomirof, n’a fait sur ce point, comme sur bien d’autres, que confirmer nos vues. (La Russie politique et sociale, 1886.)