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excessives, ils se décidèrent à recourir à la force, à passer de la parole à l’action ; et l’action pour eux ne pouvait être que le meurtre. C’est contre les chefs de la police ou les gouverneurs, qui avaient jeté leurs frères dans les cachots, qu’ils tournèrent leurs premiers coups. Comme Vera Zasoulitch tirant sur le préfet de Pétersbourg, ils prétendaient simplement d’abord venger la dignité humaine, punir leurs oppresseurs en leur rendant dent pour dent, œil pour œil[1]. Selon l’aveu de Jéliabof devant ses juges, ils prirent pour mot d’ordre « mort pour mort ». Le recours aux tribunaux militaires et toutes les mesures d’exception édictées contre eux ne firent que les exaspérer : cette guerre de vengeance et de vendetta remonta des hauts fonctionnaires jusqu’au souverain.

Dès 1878, les socialistes, enflammés par la lutte avec la haute police et grisés par les succès des premiers meurtres politiques, avaient commencé à envisager l’opportunité du « tyrannicide ». Après plusieurs conciliabules dans les cabinets particuliers de petits restaurants de Pétersbourg, l’entreprise fut décidée, au printemps de 1879, par six jeunes gens qui se disputèrent l’honneur de l’exécuter. Un juif et un catholique, Goldenberg et Kobyliansky, virent leurs offres repoussées ; on tenait, pour l’effet moral, à ce que le tsar tombât sous la main d’un Russe orthodoxe[2]. L’élu fut Solovief, qui se vantait d’être un habile tireur. Ce n’est que lorsque le revolver de Solovief eut trompé les espérances de ses amis, et quand toute la Russie était déjà en état de siège, que fut constitué le « comité exécutif » qui, des bords de la mer Noire, à Moscou et à Pétersbourg, par les mines, par les bombes, poursuivit jusqu’à son achèvement la sinistre besogne révolutionnaire.

On sait comment avait été formé ce comité.

  1. Voyez plus haut, livre VI chap. v et vi.
  2. Révélations de Goldenberg et procès des Seize en 1880.