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Le prolétariat lettré ne se compose pas du reste uniquement de boursiers. À ces privilégiés de la gratuité se mêlent sur les bancs nombre d’étudiants besogneux, qui, n’ayant pu obtenir de subsides du public, sont réduits à se contenter d’une maigre pension de leur famille. La loi militaire, qui accorde de notables avantages aux diplômes universitaires, a poussé les familles chrétiennes ou juives à n’épargner aucun sacrifice pour l’instruction de leurs fils. De là, parmi ces étudiants dénués de ressources, des misères et des souffrances peu faites pour les réconcilier avec la société. Ce qui leur fait défaut, ce n’est pas seulement le matériel d’études et les livres, c’est à la fois la table, le logement, le vêtement. Les rapports des inspecteurs de l’instruction publique ont constaté qu’en hiver nombre d’élèves des gymnases ou des universités ne suivaient pas les cours, parce qu’ils n’avaient pas de vêtements assez chauds pour sortir ; que, pour cette raison, beaucoup restaient chez eux par les grands froids ; que d’autres ne pouvaient travailler le soir faute d’éclairage. Dans cette situation, les jeunes gens s’entassent en de petites pièces, souvent étudiants et étudiantes ensemble, pour économiser le chauffage et la lumière, passant les longues soirées de l’hiver russe en divagations socialistes. De telles conditions sont aussi peu propices aux études qu’à la santé et à l’équilibre moral des jeunes gens. Beaucoup de ces étudiants, incapables de terminer leurs cours, seront naturellement des fruits-secs, rejetés par l’État ou la société, voués par la misère et les déceptions au radicalisme.

Gouvernement, assemblées provinciales, conseils pédagogiques, ont eu compassion de ces indigents lettrés, souvent encore adolescents. On a fondé des sociétés de secours qui leur procurent l’habillement, les vivres, le logement. En quelques villes, à Samara par exemple, on a créé des asiles où un certain nombre d’élèves des gymnases sont hébergés, nourris, chauffés, éclairés gratuitement ou à