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sonnage de la cour ou du gouvernement. Quand, par hasard, au milieu des rigueurs qui frappent ses confrères, on voit un journal poursuivre avec sécurité l’examen des questions les plus hautes ou les plus délicates, on y soupçonne l’inspiration de quelqu’un des membres du gouvernement ou des conseillers de la couronne. On imagine une sorte de La Guéronnière russe caché dans les coulisses et tenant la plume pour autrui. Et de telles suppositions ne sont pas toujours entièrement gratuites, non que les journaux soient souvent employés par le pouvoir à sonder l’opinion ; mais certaines des feuilles les plus importantes ont parfois derrière elles quelques amis haut placés, quelques patrons bien en cour qui, à l’occasion, les appuient de leur influence. Ainsi s’expliquent une bonne partie des libertés ou des licences prises impunément, à certaines époques, par la presse des capitales. Ainsi s’expliquent les insinuations plus ou moins sourdes, les attaques plus ou moins discrètes, manifestement dirigées contre telle ou telle administration, contre tel ou tel personnage. Ce qui offensait ou agaçait l’un des hommes au pouvoir réjouissait parfois un collègue ou un émule. Dans les gouvernements absolus, on ne saurait l’oublier, il y a bien moins d’homogénéité qu’on ne se l’imagine d’ordinaire. En Russie, où il n’y a point de ministres solidaires, les membres du gouvernement n’ont pas toujours sur les affaires et les personnes les mêmes vues ou les mêmes sentiments. Toutes ces divergences d’opinion ou d’intérêt, toutes ces rivalités plus ou moins mal dissimulées peuvent ouvrir dans la bastille bureaucratique quelques minces brèches par où, avec de l’adresse et de l’agilité, sait à certaines heures se glisser la critique.

Il y a, du reste, des ministres plus libéraux ou plus endurants les uns que les autres. Lorsque, par exemple, le comte Tolstoï dirigeait l’Instruction publique, il était périlleux d’y toucher, tandis qu’à la même époque on pouvait s’en prendre presque impunément aux Finances