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tique[1]. Tout journal, toute brochure, tout livre national ou étranger, ancien ou moderne, était soumis à la censure préventive. La censure simple semblant insuffisante, on avait imaginé une censure à deux ou trois étages. En 1848 avait été institué un comité supérieur avec mission de censurer les censeurs. À côté de la censure ordinaire, l’empereur Nicolas en avait érigé de spéciales, chargées de surveiller chaque branche de l’activité humaine. Telle était la censure militaire, abolie par Alexandre II ; telle est la censure ecclésiastique, qui subsiste encore aujourd’hui, et qui, naturellement, conférée aux hommes d’Église, étend sa juridiction sur tous les ouvrages intéressant la religion et le clergé. Pour que rien de dangereux ou de désagréable ne pût échapper à cette police des idées, on avait appliqué à ce service le système de la division du travail et de la spécialisation des organes. Chaque administration était investie du droit de contrôler tout imprimé la concernant. Au ministère de la guerre revenait tout ce qui touchait à l’armée, au ministère des finances tout ce qui regardait la fortune de l’État. Il n’était pas jusqu’à la direction des haras qui n’eût obtenu le même privilège et qui ne fût en possession de juger des écrits de son ressort. Quand vint l’ère des chemins de fer, la direction de la grande ligne de Pétersbourg à Moscou, inquiète des trop justes doléances du public, réclama le droit d’examen préalable sur toutes les publications touchant à l’administration des lignes qu’elle exploitait pour l’État. Le même système de protection avait été appliqué aux universités ou aux académies. Avant de recevoir des censeurs l’impinmatur, les travaux scientifiques devaient être soumis à l’appréciation d’un comité d’académiciens ou de professeurs. On peut juger

  1. A Rome et à Pétersbourg la censure se rencontrait souvent dans les mêmes petitesses bizarres. C’est ainsi que dans la capitale russe, comme dans la ville des papes, des opéras tels que Guillaume Tell ou les Huguenots n’étaient admis sur la scène que défigurés et travestis. Voyez notre étude sur la souveraineté pontificale, dans le livre intitulé : Un Empereur, un Roi, un Pape, Charpentier, 1879.