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d’Amérique qui, en 1885, s’enorgueillissaient de plus d’un millier de journaux quotidiens ? Les feuilles les plus en vogue des deux capitales tirent à 20 000 ou 25 000 exemplaires ; une seule atteignait un tirage de 70 000, et toute la presse pétersbourgeoise ensemble ne consomme peut-être pas autant de papier qu’un seul journal anglais, le Standard ou le Daily Telegraph, par exemple. Pour la Russie, le progrès n’en est pas moins considérable, et l’on ne saurait mesurer l’importance d’une presse au nombre de ses organes, ni sa valeur à la quantité de pages qu’elle noircit.

Le petit nombre relatif des journaux s’explique assez, tant par la situation politique que par le peu de diffusion de l’instruction. Ce qui fait surtout défaut, ce sont les feuilles locales et les feuilles populaires. En aucun pays peut-être la centralisation de la presse n’est plus grande, en aucun les journaux ne gardent par leur format, par leur contenu, par leur prix même, un caractère plus aristocratique ou bourgeois. Les grandes feuilles y sont notablement plus chères qu’en Angleterre ou en France, et rien n’y correspond à nos journaux à un sou. En faveur près des classes supérieures, la presse n’atteint presque pas le peuple et semble faire peu d’efforts pour arriver jusqu’à lui. Il est vrai que les mœurs, les lois, les vues du pouvoir, l’état économique du pays, tout est fait pour décourager les hommes ou les capitaux tentés de se jeter dans une telle entreprise. Aussi l’infériorité de la Russie à cet égard ne semble-t-elle pas près de prendre fin. Déjà cependant plusieurs signes montrent que le peuple commence à s’intéresser à la presse et aux nouvelles des gazettes. L’une des feuilles qui ont le plus grand tirage est un journal d’allures populaires, le Fils de la Patrie (Syn Otetchestva).

J’ai souvent été frappé de voir, dans les traktirs des grandes villes, des hommes du peuple, des artisans, des artelchtchike, des iamchtchiks ou cochers de fiacre, accoudés