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des lois et des mœurs, et l’impuissance même du gouvernement à faire le bien qu’il décrète.

On serait dans l’erreur si l’on imaginait qu’en Russie le rôle de la presse est nul, que les feuilles publiques n’y ont d’autre fonction que d’enregistrer les actes de l’autorité ou les dépêches de l’étranger. La presse russe a, depuis la guerre de Crimée, une véritable importance ; si, dans l’État autocratique, il pouvait y avoir un autre pouvoir que celui du gouvernement, ce serait le sien. Chez un peuple entièrement dénué d’organes politiques, dans un pays qui, au lieu de chambres représentant la nation, ne possède que des assemblées provinciales éparses et isolées, une presse, même tenue en tutelle, peut, à certains égards, avoir plus d’ascendant réel qu’en des États où la tribune et la parole vivante relèguent la parole écrite au second plan. C’est ce qui s’est vu déjà plus d’une fois en Russie, surtout aux époques de crise, et c’est là une des nombreuses anomalies du régime russe. Cette presse, si longtemps tenue en servitude, est loin d’être toujours servile ; ces journaux entourés de tant de chaînes ont, à certains moments, de singulières audaces. Leur dépendance vis-à-vis du pouvoir est loin de les priver de toute autorité vis-à-vis du pays, parfois même vis-à-vis des gouvernants.

Les journaux ne sont pas en Russie nés spontanément. Comme la science, comme la littérature écrite et imprimée, la presse a été une importation du pouvoir. Pierre le Grand fut ici, comme en tout, l’initiateur. Sous son père, Alexis, il existait déjà une gazette, les Nouvelles courantes (Kouranty), rédigée par le Prikaz des ambassadeurs pour informer le gouvernement de ce qui se passait au dehors. Pierre fut le premier à instituer une feuille destinée au public. C’est en 1703 qu’il introduisit dans ses États ce futur adversaire du pouvoir absolu. Cette première gazette, qui paraissait à des intervalles irréguliers, fut, en 1727, transportée à Pétersbourg ; on l’a confondue à tort avec la Gazette de Moscou, fondée en 1756, qui inscrit fièrement,