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leur caserne (kazarma), que durant le premier quart de leur temps de bagne, alors qu’ils sont compris dans la classe dite des condamnés à l’épreuve (ispytovémye). Durant le reste de leur temps ils vivent aux environs de la maison de force dans des chambres libres, et restent seulement astreints, jusqu’à l’expiration de leur peine, à se présenter chaque jour à l’établissement. D’ordinaire cette faculté de loger en dehors de la prison leur est accordée beaucoup plus tôt ; dans certains endroits, les forçats sont admis à demeurer au dehors dès qu’ils peuvent se louer un logement[1].

Ces adoucissements ne sont pas les seuls : la coutume s’était introduite de compter, pour les criminels ordinaires, dix mois comme une année, ce qui abrégeait encore d’un sixième la durée de ces travaux forcés mitigés. Cette peine, la plus élevée du Code, était devenue presque nominale. Aussi le gouvernement a-t-il été accusé, tantôt de retenir dans les forteresses de la Russie d’Europe des agitateurs légalement condamnés aux travaux forcés en Sibérie, tantôt de déployer envers eux au delà de l’Oural une sévérité inconnue des criminels de droit commun. Presque tout ce qui faisait jadis l’horreur de ce châtiment a disparu peu à peu, comme le knout et les verges. La législation pénale, ainsi dégagée de ses tristes accessoires, ainsi amendée ou corrigée dans la pratique par les règlements ou l’usage, est restée, avec les oukazes humanitaires

  1. Les adversaires du gouvernement se sont souvent plaints de ce que ces faveurs habituelles ne fussent pas accordées aux condamnés politiques, à Tchemychevski, par exemple, qui, pour de simples écrits, a fait sept ans de travaux forcés aux mines. Voyez la revue révolutionnaire le Vperel, t. II, 1874, IIe part., p. 108. Si de pareilles plaintes sont parfois justifiées, elles ne le sont pas toujours. Tchernychevski, notamment, a déclaré lui-même à un voyageur anglais que, pour lui, de même que pour la plupart des condamnés politiques, les travaux forcés n’avaient été qu’une peine nominale ; l qu’en fait il avait plutôt été traité « en prisonnier de guerre » (Voyez une curieuse correspondance du Daily News, 22 déc. 1883.) Il en avait été tout autrement du grand romancier Dostoievsky, condamné sous Nicolas. Dostoievsky avait été un véritable forçat.