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devant des commissions judiciaires, tout, en effet, est exceptionnel dans ces causes politiques, et la procédure, et le tribunal, et la pénalité. En metlant ainsi les conspirateurs en dehors du droit commun, en créant spécialement pour eux toute une législation draconienne, le gouvernement russe a oublié que, vis-à-vis de l’étranger, il afTaiblissait singulièrement les demandes d’extradition, fondées sur les traités et le droit commun. Le code pénal russe enseigne lui-même à faire une distinction entre les crimes politiques et les crimes privés, sans avoir prévu que cette distinction pourrait se retourner contre les justes revendications de la diplomatie impériale[1].

Un État moderne, qui croit pouvoir se passer de la peine capitale, doit la supprimer sans restriction, pour ne point se donner le démenti d’une contradiction, rendue parfois d’autant plus choquante pour la conscience publique qu’il lui répugne de voir, comme en Russie, le régicide ou le simple conspirateur politique traité plus sévèrement que le parricide. Cela seul serait un motif de ne pas se presser d’effacer du code pénal le suprême châtiment, de peur d’être contraint de le rétablir d’une manière détournée, ou de frustrer la société de moyens de défense encore nécessaires. En Russie, la peine capitale ne reste exclue de la législation que grâce à des mesures d’exception, grâce au régime des oukazes qui permet d’éluder la loi à l’aide d’un changement de juridiction. C’est à peu près comme dans certains États de l’Amérique du Nord où la peine de mort, supprimée légalement, est à l’occasion remplacée

  1. Cela est d’autant plus vrai que, pour les crimes politiques, pour les complots contre le souverain notamment, les tentatives non suivies d’effet, les simples conspirations sont assimilées aux attentats exécutes et également punies de mort : ce qui est contraire aux principes du droit pénal moderne. Or, selon les règles posées par un savant russe, les demandes d’extradition ne sauraient être admises qu’autant que la législation des États qui la réclament est conforme aux principes adoptes par les peuples civilisés. M. le professeur Martens (Sovremennoé Mejdounarodnoé pravo tsivilisovannikh narodof, Saint-Pétersbourg, t. II ; 1883).