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les attentats commis contre les fonctionnaires. Si, durant quelques semaines, les assassinais politiques cessaient, ce n’était pas que l’oukaze du 9 août eût terrifié les révolutionnaires, c’était bien plutôt que, les meurtriers du général Mezentsef n’ayant été ni découverts ni punis, personne n’avait à les venger. Quelques mois plus tard, en effet, les comités rendaient de nouveau au gouvernement et à la police œil pour œil, dent pour dent, répondant à chaque condamnation, si ce n’est à chaque arrestation, par un nouvel assassinat[1]. Les plus hauts fonctionnaires de l’empire recevaient mystérieusement l’avis qu’un tribunal occulte les avait condamnés à mort, et il se trouvait des bras pour exécuter la terrible sentence. La Russie revoyait le Vœhmgericht et les francs-juges du moyen âge. La perspective de la peine de mort semblait n’avoir fait que surexciter les colères des anarchistes ; il est vrai que, tant que les conspirateurs échappaient à la police, l’impunité pouvait être pour quelque chose dans leur hardiesse[2].

Le rétablissement de la peine capitale pour les crimes politiques, alors qu’elle est supprimée pour tous les autres crimes, suggère une autre réflexion. En édictant des peines spéciales pour le régicide, pour les attentats contre l’État et les fonctionnaires, le gouvernement impérial fournit des arguments à l’étranger qui, en pareil cas, veut lui contester le droit d’extradition. Que les coupables soient livrés à la justice militaire, ou qu’ils comparaissent

  1. En février 1879, par exemple, dans le gouvernement de Kharkof, on arrêtait un certain Fomine, prévenu d’avoir pris part à une attaque contre les gendarmes pour la délivrance d’un prisonnier politique. Le gouverneur, prince Kropotkine (cousin du savant socialiste, naguère détenu à Clairvaux), fut averti par écrit que, si le prévenu était livré à la cour martiale, il en serait rendu responsable sur sa vie. Fomine n’en fut pas moins traduit devant le conseil de guerre ; mais, avant même qu’il eût été jugé, le prince Kropotkine tombait frappé d’une balle au sortir d’une fête officielle.
  2. C’est la potence qui est le supplice ordinaire des condamnés politiques, alors même qu’ils sont jugés par un conseil de guerre. Sous l’empereur Nicolas, les chefs militaires de l’insurrection de décembre 1825 avaient également été pendus. Ce n’est que, par une sorte de faveur, qu’en 1882 le lieutenant de marine Soukhanof a obtenu d’être fusillé.