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ments. Quels qu’en fussent les avantages pratiques, les peines corporelles avaient, en Russie comme partout, le grand inconvénient d’encourager chez le peuple la rudesse et la brutalité. Le fouet et les verges, inscrits dans les lois et appliqués sur l’ordre des tribunaux, se maintenaient plus aisément dans la vie domestique. Habitué à y voir un instrument de répression pour l’homme fait, aussi bien que pour l’enfant, le père de famille avait moins de scrupules à faire usage du bâton pour ses corrections paternelles ou conjugales. À la suppression des verges, les mœurs privées, non moins que les mœurs publiques, avaient tout à gagner.

Il se peut que, sur ce point, le réformateur ait devancé les mœurs. Peut-être une sorte de respect humain pour l’opinion de l’Europe n’a-t-il pas été étranger à cette réforme ; mais, depuis Pierre le Grand, le respect humain a fait faire à la Russie plus d’un progrès, et, pour les États, comme pour les individus, l’amour-propre, le souci de l’opinion d’autrui, peut à certaines heures être de bon conseil. Qui sait où en serait la Russie, qui sait où elle en resterait sans un pareil aiguillon ?

Les avocats des vieilles coutumes ont du reste de quoi se consoler, les verges n’ont pas encore entièrement disparu. Les châtiments corporels, knout, baguettes, verges, ont été rayés du code pénal, ils ne sont plus infligés par les tribunaux ordinaires ; mais la verge, bannie du code et du droit écrit, a trouvé un dernier refuge dans les rustiques tribunaux de bailliage. Le paysan peut toujours être condamné au fouet, non plus sur l’ordre d’un maître, mais par le jugement de ses pairs[1]. C’est là une concession à la grossièreté du moujik. Le gouvernement tolère dans ces obscurs tribunaux, où la coutume règne en maîtresse, ce que l’autorité de la loi ne suffirait pas toujours à supprimer.

  1. Voyez plus haut, même liYre, chap. ii.