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pour certaines affaires criminelles, on a d’abord cherché à l’éluder au moyen de subterfuges. On a commencé par s’attaquer à la presse, lui faisant interdire officieusement, comme dans le procès de Netchaief, de reproduire les débats de l’audience, et n’en laissant connaître au public que ce qu’en imprimait le journal officiel. Puis, à propos d’un autre procès du même genre, on a fait un pas de plus : on a tenté de restreindre la publicité même de l’audience en se servant, dans les grandes causes politiques, de salles trop petites pour donner accès à beaucoup de spectateurs. Maintenue en droit, la publicité devenait illusoire en fait. Pour cela, on profitait habilement du grand nombre des accusés réunis par l’accusation[1]. Cela permettait d’écarter les indiscrets pendant que les comptes rendus officiels, les seuls autorisés, ne donnaient que les noms et l’ordre d’interrogatoire des prévenus et des témoins, sans aucune déposition qui permit de juger de la gravité du délit et de la justice du châtiment.

Lorsque ses adversaires abandonnèrent la propagande pacifique pour la poudre et la dynamite, le gouvernement impérial montra peu à peu moins de respect pour la publicité des tribunaux. La plupart des prévenus politiques ont été condamnés à l’ombre du huis clos ; mais ici encore, sous Alexandre III comme sous Alexandre II, le gouvernement a manqué d’esprit de suite. Il est tombé dans son péché d’habitude, le défaut de système, rouvrant un jour les portes du tribunal, qu’il avait fermées la veille, pour les clore de nouveau le lendemain. C’est ainsi que sous Alexandre III le procès des meurtriers d’Alexandre II a

  1. Ainsi, dans un procès jugé à Pétersbourg en 1877 ; les avocats se plaignaient de ce que, contrairement à la loi, leurs clients fussent jugés à huis clos ; ils osaient demander que les audiences fussent réellement publiques, et insistaient pour qu’elles se tinssent dans une salle plus vaste, au besoin dans la salle des Pas Perdus. « La publicité n’est pas supprimée ; répondit le président, mais le grand nombre des accusés et des témoins laisse peu de place aux spectateurs. » Dans cette affaire il y avait en effet près de deux cents accusés.