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elle se piquerait plutôt de les corriger paternellement ainsi que des enfants espiègles ou turbulents. Elle se contente de les éloigner temporairement ou de les garder à vue, de leur interdire ou de leur imposer telle ou telle résidence, de les confiner, pour leur propre avantage comme pour le bien de tous, dans des villes ou des provinces reculées.

En temps ordinaire, cette suprême autorité, qui plane au-dessus des tribunaux et opère par-dessus leur tête, ne frappe que les agitateurs, les conspirateurs des deux sexes et les malheureux jeunes gens égarés par la propagande révolutionnaire. Le corps des gendarmes n’a point à intervenir dans la justice et ne s’en mêle point, si bien que les gens paisibles peuvent voir en eux les plus sûrs défenseurs de la légalité. L’administration tourne-t-elle son attention et ses rigueurs sur des hommes qui n’ont rien du conspirateur ou du révolutionnaire, parfois même sur des personnages considérables, c’est toujours qu’ils s’occupent des affaires de l’État et se permettent de les juger d’une manière qui provoque le mécontentement ou la mauvaise humeur des puissants du jour[1].

Aux yeux du pouvoir, le principal avantage de l’action administrative, c’est la promptitude de ses actes et le secret qui les couvre. On oublie que les formalités légales et la publicité sont non moins utiles à la justice et au gouvernement qu’au public ou à l’accusé, que seules elles peuvent mettre à l’abri de certaines méprises et de certaines calomnies. Dans sa promptitude à saisir les suspects et à déjouer les complots, la haute police est exposée à mêler des innocents aux coupables, et le mystère qui enveloppe toutes ses démarches permet de lui attribuer des arrestations imméritées, des déportations en masse, des violences

  1. Lors du congrès de Berlin, par exemple, un des hommes les plus éloignés du nihilisme et les plus populaires de Moscou, M. Aksakof, président des comités slaves, a durant quelques semaines été exilé dans ses terres, pour avoir, dans un discours public, blâmé le gouvernement de s’être résigné à l’acceptation du traité de Berlin.