Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blie, pour les civils et les laïques du moins, l’égalité devant la justice qui semblait indirectement violée par le maintien des tribunaux corporatifs[1].

Les lois de 1864, nos lecteurs le savent déjà, ont institué, avec une double série de tribunaux, deux magistratures isolées et indépendantes l’une de l’autre. En Russie, comme en beaucoup d’autres États, il existe des justices de paix, appelées à décider des petites affaires qui doivent se régler plutôt selon l’équité que selon le droit écrit, et des tribunaux d’un ordre plus élevé, connaissant des causes graves où sont en jeu la fortune, l’honneur, la vie des habitants ; mais en Russie, au lieu d’être superposées l’une à l’autre, ces deux justices forment deux séries parallèles absolument distinctes, possédant chacune en propre ses cours d’appel comme ses tribunaux de première instance, et différant autant par le mode de nomination des juges que par l’étendue de la juridiction. Entre ces deux sections étrangères l’une à l’autre, il n’y a qu’un lien, le sénat dirigeant, qui leur sert à toutes deux de cour de cassation et qui doit maintenir l’unité dans l’interprétation de la loi comme dans la pratique judiciaire. De cette double magistrature, la plus humble est celle que son organisation et son mode de nomination rendent pour nous la plus curieuse.

Pour la justice de paix (mirovoï soud) le réformateur a créé un corps de magistrats dont le premier modèle doit être cherché en Angleterre. La copie russe est cependant singulièrement différente de l’original britannique. En Angleterre, les juges de paix (justices of the peace) sont autant des administrateurs que des juges ; c’est à eux de

  1. Je ne parle pas ici des tribunaux de commerce, qui ont été établis dès le règne de Nicolas, à l’imitation des nôtres. Ces tribunaux ne fonctionnent pas toujours d’une manière satisfaisante. Quelques publicistes en ont demandé la suppression, avec le renvoi des affaires commerciales aux tribunaux ordinaires, sauf à placer, près des juges, des experts ou un jury civil à la manière anglaise.