Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La loi, du reste, ne tolère l’usage de cette peine rustique qu’en le restreignant ; elle exempte du fouet ceux des paysans qui en souffriraient le plus dans leurs membres ou dans leurs sentiments, les femmes de tout âge, les vieillards au-dessus de soixante ans, les hommes ayant obtenu un diplôme d’instruction dans les écoles de district, sans compter les fonctionnaires de la commune et tous ceux qui tiennent à l’administration locale, à l’enseignement ou au culte, en sorte que, dans les villages mêmes où elle reste tolérée, la verge ne doit plus atteindre que la minorité des habitants. Il est vrai que ces prescriptions légales ne sont pas toujours respectées. Les juges de village ne se gênent pas à l’occasion pour faire fustiger les femmes ; parfois même les maris s’adressent au tribunal de volost pour faire administrer une correction à leurs compagnes. La police, de son côté, s’arroge encore à l’occasion le droit de fouetter le paysan[1].

La complication des lois russes n’est pas étrangère à ces illégalités. Sur ce point, comme sur bien d’autres, la législation est loin d’être toujours d’accord avec elle-même. L’oukaze impérial d’avril 1863 a bien exempté les femmes des peines corporelles ; mais l’acte d’émancipation de 1861, lequel règle spécialement les droits des paysans, autorise les tribunaux de volost à faire fouetter les femmes âgées de moins de cinquante ans. Or le statut d’émancipation, qui est la véritable charte rurale, est d’ordinaire le seul texte de loi à la portée des paysans. Chose singulière et qui montre bien le peu d’unité de la législation russe,


      On voit d’après ce tableau que, si les paysans de Vladimir employaient encore volontiers les verges, la proportion des châtiments corporels avait, sauf une courte période, été toujours en décroissant.
      Depuis la création des chefs de canton ruraux, la peine des verges ne peut être appliquée qu’avec l’autorisation de ces fonctionnaires.

  1. Un des cas où les tribunaux de volost étaient le plus tentés d’abuser des châtiments corporels, c’était envers les contribuables en retard. Grâce à la solidarité communale (voy. tome I, liv. VIII, chap. v), les juges pouvaient, en effet, être intéressés à l’exacte rentrée des impôts. Aussi les verges sont-elles encore parfois employées pour accélérer le versement des taxes.