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les allogènes, finnois et autres, ont laissé le plus de traces dans les mœurs et la vie locale[1].

Au-dessus des questions ethnologiques ou historiques que soulèvent les coutumes populaires, se pose la question juridique. Quelle place le droit coutumier peut-il revendiquer dans les tribunaux ? C’est là, pour le législateur, un problème des plus importants et aussi des plus ardus ; c’est un de ceux dont se sont occupés les premiers congrès de juristes russes. Le gouvernement n’en avait pas méconnu la gravité. Un article de l’acte d’émancipation stipulait déjà expressément que, pour l’ordre de succession et les héritages, les paysans étaient autorisés à suivre les usages locaux[2]. Le temps n’est plus où l’on considérait le droit coutumier comme un empiétement sur le pouvoir du législateur. La loi de 1864, qui a consacré la nouvelle organisation judiciaire, enjoint aux juges de paix de ne pas froisser les coutumes en vigueur ; mais, le législateur n’ayant pas pourvu aux cas de conflit entre le droit écrit et le droit coutumier, ce dernier est d’ordinaire sacrifié, ou n’est admis qu’en l’absence de loi écrite. La commission chargée par l’empereur Alexandre III de la rédaction d’un projet de code civil a bien reçu pour instructions de tenir compte du droit coutumier ; mais ce nouveau code est loin d’être promulgué, et le désir d’y faire place aux coutumes populaires est une des choses qui en retarderont l’achèvement[3]. Les tribunaux de bailliage restent les seuls

  1. Les gouvernements d’Olonets, de Viatka, de Kazao, de Penza, de Samara, par exemple. Il n’est pas question ici des indigènes du Caucase ou de Sibérie ; lesquels ont été également l’objet de nombreux travaux.
  2. Article 38 de l’acte d’émancipation.
  3. Certains juristes avaient déjà réclamé la codification des coutumes villageoises, sous forme de code rural spécial (selskii soudebnyi oustav). Ce serait, a dit M. le sénateur Kalatchof, un moyen de faire rentrer les coutumes populaires dans la loi, et d’en étendre au besoin l’application à d’autres classes que les paysans. Ce projet rencontre malheureusement un grand obstacle dans la variété des coutumes locales, variété motivée par les différences du sol, du climat, des populations, des mœurs. Voyez M. Kalatchof : Ob otnochénii iouriditcheskikh obytchaef k zakonodatelsvou, (Mémoires de la Soc. Imp. de Géogr., sect. ethnogr., tome VIII.)