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judiciaire. Pour trouver des exemples et des modèles, la Russie n’avait qu’à regarder au delà de ses frontières, vers cet Occident, parfois si dédaigné de ses publicistes et dont les leçons et la longue expérience lui peuvent épargner tant de tâtonnements, d’erreurs et de mécomptes. Une commission spéciale fut chargée d’étudier l’organisation judiciaire des pays étrangers, de la France et de l’Angleterre en particulier. Des rapports de cette commission fut tirée et comme extraite la nouvelle organisation russe, car, dans sa liberté de tout faire et de tout essayer, le gouvernement de Pétersbourg n’a point cette fois mis son amour-propre à faire du neuf. La réforme de ses tribunaux a été moins une création originale qu’une combinaison et une adaptation de divers éléments, presque tous empruntés aux peuples les plus avancés de l’Europe.

Cette filiation occidentale des nouvelles institutions judiciaires a, depuis leur origine, servi souvent de grief contre elles[1]. Il y a, on le sait, en Russie, à Moscou surtout, une sorte de protectionnisme ou de prohibitionnisme moral qui redoute partout l’invasion des idées ou des produits de l’Occident, et ne goûte pas plus l’importation des lois du dehors que des denrées étrangères. Aussi la publication du nouveau statut judiciaire causa-t-elle en son temps de nombreuses déceptions. Le Den, l’organe des Slavophiles, ne dissimulait pas son désappointement[2]. On s’attendait à autre chose, au lendemain de l’émancipation et du statut des paysans où le gouvernement s’était guidé d’après d’autres principes. C’est que ces deux réformes, entreprises et exécutées à si peu d’intervalle, ont été éla-

  1. Pour la défendre contre ce reproche, les panégyristes de la réforme judiciaire cherchent à montrer, par le détail, que l’imitation n’a, en fait, pas été aussi complète ni aussi servi le qu’on se l’imagine d’ordinaire. Voyez, par exemple, la Rousskaïa Starina, février 1880.
  2. En revanche l’ouverture des nouveaux tribunaux excita l’enthousiasme des « Occidentaux » et de la presse libérale, y compris la Gazette de Moscou devenue depuis leur adversaire acharné. Voy. Stranitsa i istorii soudebnoï reformy : D. N, Zamiatnin. Moscou, 1883.