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civiles spécialement, une œuvre de longue haleine qui ne saurait être accomplie en quelques années.

Un empire autocratique a beau être en possession d’un code, peut-il avoir des lois fixes et dignes de ce nom ? La question peut paraître douteuse. Dans un État où le monarque est la loi vivante, la législation semble un livre toujours ouvert où le souverain, n’étant pas lié par ses décisions de la veille, peut inscrire ou effacer telle page à son gré. L’idée de fixité, de permanence, paraît difficilement conciliable avec ce pouvoir de tout altérer, de tout régler par oukaze. On a dit parfois qu’en reconnaissant au souverain le droit de les modifier à son gré, le premier article du code russe abrogeait tous les autres. Là où l’autorité suprême est légalement maîtresse de dépasser les limites de la loi, on peut soutenir qu’il ne saurait y avoir de lois. Pour la Russie, ce serait cependant aujourd’hui une singulière exagération. Il n’y a pas toujours dans les institutions humaines une telle logique qu’il faille pousser jusqu’aux dernières conséquences les principes les mieux établis d’un gouvernement. En Russie, le souverain est placé au-dessus de la loi, ou, mieux, il est la source de la loi, qui découle tout entière de sa volonté ; mais, dans la pratique, la loi ne peut être modifiée sans certaines formalités, sans certaines études, sans la participation de certains corps constitués, en sorte qu’à cet égard la situation de la Russie moderne n’est pas aussi différente de celle des autres États de l’Europe qu’elle semble l’être au premier abord. En droit, toute la législation demeure à la merci d’un oukaze, elle se résume tout entière dans le vieil adage, si longtemps enseigné en Occident : Quod principi placuit, legis habet vigorem. En fait, c’est là une prérogative dont, de nos jours, l’autorité impériale est rarement tentée d’user, dont elle a peu d’intérêt à se servir, en dehors des causes politiques, où la forme même du gouvernement interdit toute garantie. Pour le reste, pour le droit civil et le droit criminel, le pou-