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contemporain, « est l’autorité qu’emploient habituellement les modernes pour modifier l’impulsion imprimée par les coutumes et les mœurs[1] ». Le gouvernement russe, qui, durant près de deux siècles, s’est laborieusement employé à transformer les mœurs de ses sujets, n’a pas manqué de se servir de cet instrument, en usant à tort et à travers. Sous le nom de lois, la Russie finit par ne posséder qu’une masse informe de statuts, d’ordonnances, d’oùkazes, d’édits incohérents. Chaque souverain remaniait et bouleversait sans scrupule la législation ; chaque règne mettait en question les lois comme les institutions du règne précédent, en sorte que, sous cette perpétuelle mobilité, la notion même de loi semblait disparaître. En vérité, il était difncile de donner un tel nom à un amas d’ordres et de contre-ordres, de décisions opposées et d’arrêts contradictoires, sans cesse modifiés et abrogés les uns par les autres. Une législation aussi confuse réclamait impérieusement une codification, mais la tâche devenait plus difficile à mesure qu’elle devenait plus nécessaire. Catherine II en nourrit le projet ; elle en était peut-être plus capable qu’aucun de ses prédécesseurs ou successeurs, car elle apportait, le plus souvent, dans ses lois un esprit de suite, étranger d’ordinaire au législateur russe. C’était pour préparer la confection d’un code qu’en 1767 la tsarine rassemblait à Moscou les représentants de toutes les provinces, de toutes les classes, de toutes les races et les religions de l’empire. Les guerres de Turquie et de Pologne détournèrent l’impératrice de cette grande œuvre ; mais, dans sa célèbre instruction pour la confection du nouveau code, Catherine II avait officiellement posé des principes de droit, des axiomes de justice qui, sous un tel patronage, ne sont pas demeurés stériles. Les projets de codification, repris sous l’empereur Alexandre Ier, ne furent exécutés que sous son frère, à l’aide de Spéranski. L’empereur Nicolas est

  1. M. Le Play, Réforme sociale, t. III, chap. lii.