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la souverainelé du nombre, tout en laissant à chaque citoyen un bulletin de vote. En France, après une longue pratique du suffrage universel, toute tentative de diviser ainsi les électeurs en plusieurs groupes superposés se heurterait au sentiment le plus vif, le plus ombrageux du pays, l’égalité[1]. En Russie même, où la classification hiérarchique a pour elle l’ancienneté et la coutume, l’opinion publique a été peu favorable à une telle répartition des électeurs. La presse a fait remarquer qu’au moyen de ces trois catégories le statut municipal rétablissait indirectement les distinctions de classes qu’il supprimait officiellement, et livrait les villes aux mêmes influences que l’ancienne loi. Toute la différence est qu’au lieu d’être classés selon leur origine ou leur profession, les électeurs sont classés selon leur fortune ; mais cette innovation même n’a pas trouvé bon accueil auprès du sentiment public. On reproche à ces catégories censitaires d’introduire dans la vie russe un principe nouveau, sans précédent dans l’histoire nationale, sans raison d’être dans les conditions économiques ou politiques du pays. On accuse même cette précaution conservatrice de tourner parfois contre le but du législateur en isolant les hautes influences sociales, en abandonnant à elles-mêmes les classes les moins cultivées et les moins intéressées à l’ordre. Aux yeux de certains publicistes, un tel système, s’il devait triompher et recevoir de nouvelles applications, constituerait pour l’avenir un sérieux danger ; il en pourrait sortir une lutte de classes, une lutte du capital et du travail[2].

De même que pour les États provinciaux, chaque caté-

  1. C’est la raison pour laquelle toutes les propositions de ce genre avaient été repoussées dans les commissions de l’Assemblée nationale, malgré le désir avoué de réformer notre système électoral, « Classer les habitants d’une même ville en catégories d’après leurs richesses, faire siéger dans les mêmes conseils les élus de quelques citoyens opulents et les élus du grand nombre a semblé dépasser ce que nos mœurs comportent. » Ainsi s’exprimait M. Balbie dans un rapport déposé le 21 mai 1874.
  2. Voyez, en particulier, M. Golovatchef : Deciat lei reform, p. 228, 229.