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sion de tout ce qu’on avait vu jusqu’alors, c’est qu’elle était uniquement composée de représentants de la société, que le tchinovnisme en était entièrement absent, qu’elle dirigeait ses délibérations en dehors de l’intervention de tout fonctionnaire. Ce qui n’était pas moins nouveau, c’est que, au lieu d’être condamnées à l’obscurité du huis clos, ses discussions pouvaient être librement reproduites dans les journaux. Pendant des semaines, la presse russe a été remplie des dissertations des divers orateurs sur les débits d’eau-de-vie et les meilleurs moyens de mettre un frein à l’ivrognerie. Durant des semaines, la Russie a eu de cette façon l’illusion d’une sorte de parlement au petit pied, mais d’un parlement dont les débats et la compétence ne dépassaient guère les murs du cabaret, bien que la fin tragique d’Alexandre II semblât mettre à l’ordre du jour d’autres problèmes que ceux discutés dans les sociétés de tempérance. Les sujets du tsar sont en général modestes dans leurs vœux ; il n’en a pas fallu davantage pour en satisfaire un grand nombre et ranimer parmi eux d’anciennes espérances[1].

Si borné que nous en paraisse le domaine, l’inauguration de pareilles assemblées était manifestement un progrès pour l’empire autocratique. Il faut se garder cependant d’en grossir l’importance. À part la nature restreinte des objets soumis à ses études, à part le manque de sanction de ses délibérations, une pareille commission a le défaut de ne pas être réellement un corps représentatif. Ces conférences d’experts auraient une tout autre valeur si les membres, au lieu d’être choisis arbitrairement par le gouvernement, en étaient désignés par les zemstvos. Il est vrai

  1. Le gouvernement d’Alexandre III avait, du reste, en cette circonstance, fait preuve de largeur d’esprit. Il avait généralement désigné des hommes distingués de tendances souvent fort différentes. Parmi ces experts on remarquait leur doyen, M. E. Gordéienko, principal auteur de l’adresse du zemstvo de Kharkof à l’empereur Alexandre II, adresse qui, sans l’appui du général Loris Mélikof, alors gouverneur de Kharkof, eût pu valoir à ses signataires un voyage en Sibérie. Voyez plus haut, p. 229.