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Viatka consacrent annuellement à la santé publique de 300 000 à 400 000 roubles chacun. Si les institutions et les mesures administratives pouvaient en quelques années transformer les mœurs, ou s’il était aussi facile d’encourager l’hygiène que la médecine, les zemstvos auraient par là rendu au pays un inappréciable service. Ici encore, l’initiative des zemstvos se heurte à des obstacles multiples. Ils ont d’abord contre eux les mœurs et les superstitions du peuple, les préjugés invétérés du moujik et les traditions souvent antihygiéniques des campagnes. Le médecin ne faisait naguère d’apparition dans les villages qu’en qualité d’auxiliaire de la justice, pour les enquêtes de la médecine légale. Ce souvenir n’était pas fait pour le rendre populaire et l’aider à triompher des préventions entretenues par les sorciers, qui craignent de voir ce concurrent diplômé ruiner leur industrie[1].

Pour arracher au koldoun et à la vedma, au devin et à la sorcière, une clientèle séculaire, il faudrait malheureusement aux zemstvos un personnel médical que, le plus souvent, la pénurie de leurs ressources ne leur permet point de se procurer. Parfois un district grand comme un de nos départements et peuplé de plus de 100 000 habitants ne possède encore qu’un ou deux médecins ambulants, qu’on ne trouve point quand on en a besoin[2]. Puis la modicité des traitements qu’ils leur offrent ne permet aux zemstvos que de s’attacher des praticiens d’un mérite inférieur. Les docteurs au service des États provinciaux ne touchent annuellement que 1000 ou 1200 roubles, 1500 au plus, et pour cette somme ils sont astreints à de longues et fatigantes tournées. Dans certaines villes de province

  1. Sur la sorcellerie et les formales magiques, voyez par exemple l’excellent ouvrage de M. Ralston : The Songs of the Russian people, chap. VI.
  2. Le gouvernement de Kharkof par exemple, on des plus riches de l’empire, n’entretenait en 1883 que 35 médecins pour 2 millions d’habitants, et Kharkof est le siège d’une université. Le district de Starobelsk avec 110 000 âmes, le district d’Izioum avec 120 000, celui de Koupiansk avec 130 000, ne comptaient chacun qu’un seul médecin.