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lieu. Elle était, par exemple, obligée de se servir des postes impériales, des télégraphes du ministère de l’intérieur ; si elle avait parfois un fil télégraphique particulier, ce fil pouvait passer par des bureaux qui ne relevaient pas directement d’elle, et souvent ses dépêches étaient transmises par des employés d’autre ressort, moins sûrs que les siens. On peut attribuer à ce manque d’agents de transmission quelques-unes de ses déconvenues. Malgré l’intégrité incontestée de ses chefs, beaucoup de ses instructions les plus secrètes étaient connues d’avance des conspirateurs, si bien qu’on était tenté de se demander si ces derniers n’avaient pas des intelligences jusque dans son sein. Vers la fin du règne d’Alexandre II, pour citer un exemple, un officier supérieur de gendarmerie était dépêché en mission confidentielle dans une ville manufacturière du centre ; il voyageait naturellement incognito et croyait tomber à l’improviste au milieu des habitants ; qu’on juge de sa surprise en trouvant à son arrivée, au milieu de la nuit, le maire de la ville et les principaux fonctionnaires réunis à la gare pour le recevoir. Des faits de ce genre montrent comment étaient déjouées les précautions de la haute police, comment, lorsqu’elle jetait ses filets et croyait faire une prise, elle trouvait si souvent la place vide et les suspects en fuite.

Une institution comme la troisième section ne pouvait se légitimer que par son incorruptibilité et son infaillibilité. Dès qu’elle n’était plus au-dessus du soupçon, ou dès qu’elle cessait d’être heureuse, la police d’État n’avait plus de raison d’être comme autorité indépendante.

Ce que la haute police a perdu, en passant de la chancellerie privée de l’empereur dans le ressort du ministère de l’intérieur, c’est, en effet, son indépendance et, pour ainsi dire, son individualité, sa personnalité. C’est là ce qui fait l’importance de ce changement de ressort. Si elle garde envers les sujets du tsar ses droits et ses privilèges les plus exorbitants, elle ne conserve plus son ancienne autonomie, son ancienne suprématie envers les