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silencieuses de la Sibérie, que, pouvant s’en débarrasser sans en avoir le sang sur les mains, ni en entendre les cris, elle se montrait d’autant moins scrupuleuse et compatissante.

La troisième section de Nicolas et d’Alexandre II n’était pas seulement une police d’État, servie par des agents secrets, chose dont aucun gouvernement ne saurait entièrement se passer ; c’était une puissance particulière dans le gouvernement, une autorité indépendante, privilégiée, placée en dehors et au-dessus de la sphère d’action normale des autres autorités, en dehors et au-dessus des lois, dont elle était censée assurer le fonctionnement. Le chef de la troisième section, appelé aussi chef des gendarmes, était de droit membre du comité des ministres, et, plus que tous ses collègues du comité, il était l’homme de confiance du souverain, avec lequel il restait en relations constantes. Tout dépendait indirectement de lui, à commencer par les nominations des fonctionnaires, auxquelles il pouvait s’opposer en vertu des renseignements de sa police. Il exerçait sur toutes les affaires et toutes les personnes un contrôle indiscret. Il avait le droit d’arrêter, d’interner, de déporter, de faire disparaître qui bon lui semblait.

Les réformes d’Alexandre II semblaient devoir mettre fin au règne de la police. Pendant une dizaine d’années, le lustre de la troisième section parut à jamais terni ; en 1866, l’attentat de Karakozof sur le tsar rendit à l’institution favorite de l’empereur Nicolas tout son ancien éclat. La direction de la troisième section fut alors conflée au comte Chouvalof, depuis ambassadeur à Londres et plénipotentiaire du tsar au congrès de Berlin. C’était un signe, en effet, de l’état politique de la Russie, qu’un des postes les plus considérables et les plus considérés était celui de grand maître de la police occulte, de chef des gendarmes. Des mains du comte Chouvaiof, le sceptre de la police est passé aux mains de deux généraux, qui ne l’ont