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rieures. À cet égard, les paysans seraient encore les parias de l’empire, si les Juifs de tout rang n’étaient astreints à des dispositions plus vexatoires encore. Les nombreux moujiks en résidence dans les villes ont souvent peine à faire renouveler leurs papiers par les communes rurales. Les lenteurs ou la mauvaise volonté des autorités communales, dont souvent ils ne triomphent qu’à force d’argent, les exposent à être expulsés des villes où ils travaillent, car un ouvrier sans papiers a peine à trouver une place, ou n’en trouve qu’au rabais. La préoccupation et l’anxiété des intéressés sont parfois telles, qu’on a vu des paysans en devenir malades et même en attenter à leurs jours. En 1879, par exemple, une jeune paysanne de dix-huit ans, originaire de Smolensk, se suicidait à Saint-Pétersbourg parce que son passeport n’avait pas été renouvelé à temps, et que les maîtres qui l’avaient à leur service ne voulaient plus la garder dans ces conditions[1]. Pour les gens du peuple, pour le moujik notamment, le passeport est ainsi un tourment continuel, en même temps qu’une occasion de délit ; pour les administrations communales, comme pour la police impériale, c’est une source de profits illicites et un prétexte perpétuel d’arbitraire et d’abus de tout genre.



  1. Novoe vrémia, 22/10 février 1879. Afin de prévenir de pareils faits, on a, il est vrai, diminué l’autorité des communes rurales sur leurs membres absents. Voyez plus haut, livre I, chapitre iii.