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et par suite l’égale participation de tous à toutes les affaires du mir. De là, dans les villages de la Grande-Russie, le régime démocratique sous sa forme la plus simple et la plus pure, sans intermédiaire et sans représentation, le régime de la démocratie directe où chacun prend personnellement part à toutes les délibérations, à toutes les décisions. En certains pays, chez les Arabes par exemple, la propriété collective, patriarcale ou familiale, a pu s’accommoder d’un gouvernement aristocratique, le pouvoir étant abandonné au chef de la tribu ou du clan, comme au père, au chef de la famille. En Russie, rien de semblable ; aucune autorité héréditaire, aucune autorité individuelle ou oligarchique dans le mir moscovite. À cet égard, Haxthausen a tort de donner à la commune russe le titre de patriarcale ; M. Tchitchérine a raison de le lui refuser[1]. Dans ces communautés de paysans asservis régnait l’égalité la plus complète ; aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire, on n’y voit pas de chef désigné par la naissance ou la coutume. Grâce au servage, la commune avait bien un maître, mais ce maître était en dehors d’elle ; il en était le seigneur, parfois le tyran, il n’en était point le chef. Le droujinnik et le pomêchtchik, les serviteurs de l’État, pourvus de terres par le souverain et depuis transformés en propriétaires nobles, étaient simplement superposés aux paysans, superposés aux communes de leurs domaines. Cela est si vrai qu’en affranchissant les villageois, la loi n’a point encore trouvé de place au milieu d’eux pour les anciens seigneurs. Après l’émancipation, le pomêchtchik est demeuré en dehors du mir des moujiks, comme il était en dehors et au-dessus jadis ; il est demeuré isolé de ses anciens paysans, en dehors de la commune, en dehors même de la volost où il réside : la chaîne du servage rompue, rien ne l’a plus lié à ses anciens sujets.

  1. Tchitchérine, Opyty po istorii rousskago prava.