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norme développement des écritures et de la correspondance, l’accumulation des paperasses à tous les degrés de l’échelle, aux dépens de la prompte et utile expédition des affaires, aux dépens d’une bonne administration. C’est, entre les bureaux ministériels et les diverses chancelleries, un échange continuel de feuilles calligraphiées : demandes, rapports, informations, explications, rectifications, approbations, confirmations, etc. Grâce au secours des rapides auxiliaires fournis par la science moderne, grâce à la vapeur et à l’électricité, les affaires ont été de plus en plus concentrées dans les bureaux des ministères. Les agents de l’administration locale, tenus en d’étroites lisières par les règlements, n’ont plus été que des expéditeurs d’ordres, des secrétaires privés d’initiative, incapables de décision, effrayés de toute responsabilité. Au lieu de fonctionnaires et d’administrateurs, la Russie n’a plus possédé que des employés et des commis. Les maux de la centralisation ont ainsi été aggravés par les remèdes appliqués aux concussions administratives. L’administration russe est devenue comme une chaîne sans fin, le long de laquelle les affaires se transmettent mécaniquement, remontant et redescendant lentement de bureau en bureau, au grand dommage des intérêts du pays.

L’exagération du culte de la forme, le pédantisme bureaucratique, a été l’une des suites de toute cette procédure administrative. Comme le serviteur d’Harpagon, tour à tour cocher et cuisinier, le gouverneur de province, chargé d’attributions diverses, accordait fréquemment à un titre ce qu’il refusait à un autre. Le formalisme, sanctionné par la loi et l’usage, entraînait parfois à de singulières naïvetés les bureaucrates soucieux de leurs devoirs. En voici un exemple que cite quelque part Herzen : Un gouverneur de province était en congé ; il était naturellement remplacé par le vice-gouverneur. Ce dernier, qui était en correspondance officielle avec son chef, reçoit en sa nouvelle qualité une pièce écrite la veille par lui-même en