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évaluations officielles des domaines ainsi concédés. Tantôt le concessionnaire s’entend avec l’administration impériale pour faire officiellement avilir les biens qui lui doivent être abandonnés ; d’autres fois l’État ne connaît pas lui-même la valeur et le rendement des terres dont il se dessaisit, ou, mieux, il est incapable d’en tirer un revenu normal. Je m’étonnais une fois, en Pologne, qu’un fonctionnaire russe pût faire produire 40 ou 50 000 roubles à un domaine qui lui avait été alloué comme en rapportant 6000 seulement. — « Rien de plus simple, me dit un voisin : une terre peut donner 50 000 roubles de revenu à un particulier et n’en rapporter que 6000 à l’État, et cela, en dehors même de ce qui reste toujours entre les doigts des employés. »

Les ventes et aliénations des biens de la couronne donnent souvent lieu à des abus analogues. Avec des protections et du savoir-faire, un acquéreur peut obtenir de l’État, pour quelques milliers de roubles, ce qui en vaut dix ou cinq fois plus. Un certain nombre des ventes ou des baux ainsi consentis dissimulent de véritables cadeaux accordés à des favoris. Pour couper court à de telles pratiques, on a proposé d’interdire toute aliénation des domaines de l’État et de n’en autoriser la location que sur enchères publiques ; mais, avec les mœurs actuelles, les intéressés sauraient peut-être encore découvrir un biais pour déjouer de pareilles précautions[1].

À côté des arendes et des concessions de terre, destinées d’habitude aux ministres et autres personnages influents,

  1. Dans l’automne de 1881, une enquête à ce sujet, prescrite par Alexandre III, a entrainé la démission de plusieurs hauts fonctionnaires avec la retraite du président du comité des ministres, le comte Valouief, longtemps ministre des domaines, bien que ce personnage fût resté personnellement étranger aux abus signalés, et que, pour les terres des Bachkirs spécialement, la responsabilité en retombât surtout sur les autorités locales. Conformément aux vœux du pays et d’une commission d’experts, convoquée en 1881, les domaines de l’État semblent devoir être désormais réservés à la colonisation des paysans.