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la rapacité de ses agents, risque d’être considérée par le pouvoir comme une rébellion et punie comme un acte de trahison ou de forfaiture. La vénalité a pu ainsi librement fleurir à couvert des mesures de salut public, édictées par l’État en faveur de l’autorité et des fonctionnaires.

Un des caractères de la corruption russe, c’est qu’elle n’a de limites ni en haut ni en bas. Il n’est si mince employé qui ne se permette de profits illicites, il n’est si haut personnage qui ne daigne au besoin en grossir son revenu. Le rouble peut ouvrir les portes des palais impériaux comme les bureaux des derniers employés de province. Les grands-ducs, placés à la tête de l’armée ou de la marine, n’inspirent guère plus de confiance à l’opinion que de vulgaires tchinovniks. L’intégrité et le désintéressement sont presque toujours regardés comme une exception, dont on est porté à douter. Ni le rang ni la naissance ne mettent au-dessus du soupçon, l’entourage même du souverain n’en est pas toujours à l’abri.

À la corruption bureaucratique s’ajoute, en effet, dans les hautes sphères du pouvoir, ce que l’on pourrait appeler la corruption de la cour. La Russie n’est pas, sous ce rapport, sans ressemblance avec la France monarchique des dix-septième et dix-huitième siècles. Au-dessous des rouages officiels, il y a dans Pétersbourg, comme autrefois à Versailles, les ressorts secrets ou cachés, qui sont les plus dispendieux comme les plus puissants. À la cour et dans les ministères, les favoris et les favorites ont fréquemment un crédit dont l’emploi est loin d’être toujours gratuit. Les liens illicites ou les liaisons galantes jouent souvent encore un grand rôle dans ce gouvernement d’ancien régime. Honnêtes ou légères, les femmes savent parfois acquérir un ascendant considérable, et, dans ce pays sur lequel leur sexe a si longtemps régné, cela est d’autant moins surprenant que la femme russe est plus intelligente, plus cultivée, plus séduisante et que, dans les hautes classes, elle est d’ordinaire moins embarrassée de religion,