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Ils sont aujourd’hui en Russie plusieurs centaines de mille ; conservant leur religion, leur langue, leurs mœurs, portant le nom de colonistes et formant sous ce titre une classe à part, ayant naguère encore ses privilèges particuliers, entre autres l’exemption du service militaire[1]. Vivant en étrangers dans l’État dont ils sont sujets, ces colonistes se sont distingués par plusieurs des qualités germaniques, l’esprit d’ordre, l’esprit de famille et d’économie. Ils se sont fait, dans l’isolement de leurs petites communes, une civilisation pour ainsi dire domestique. Ils ont formé des colonies agricoles fort curieuses pour le politique comme pour le philosophe ; ils sont arrivés à un bien-être honnête et modeste, mais sans pouvoir s’élever au-dessus. Aussi, presque nulle au point de vue matériel, leur influence sur le peuple russe a été moindre encore au point de vue moral[2]. Si l’Allemagne a eu une si grande part dans le développement de la Russie, elle l’a dû bien moins à ces rustiques colonies, toutes repliées sur elles-mêmes, qu’à la noblesse allemande des provinces baltiques et aux savants allemands appelés à Pétersbourg.

Assez différent a été le rôle des immigrants gréco-slaves. S’ils ne se sont pas encore complètement fondus dans le peuple russe, ils ne forment pas, comme les Allemands, un corps à part dans l’empire. La parenté des langues pour les Slaves, l’unité de foi pour presque tous, a été un trait d’union entre ces immigrants et leur nouvelle patrie. Parmi eux se rencontrent toutes les tribus chrétiennes de l’Orient ; Grecs, Roumains, Serbes, Dalmates, Bulgares ; Arméniens, Ruthènes, anciens sujets turcs ou autrichiens ; attirés jadis en Russie par des sympathies politiques ou religieuses. Cette émigration, contemporaine de leur pre-

  1. La suppression de cette exemption en 1874 par la loi établissant le service obligatoire a déterminé l’émigration d’un certain nombre de ces colonistes. Beaucoup, après d’infructueux essais d’établissement au Brésil ou ailleurs, sont revenus en Russie.
  2. En étudiant les sectes russes, nous aurons, à propos des Stundistes, l’occasion de citer une récente exception à cette règle. Voy. t. III, liv. III. ch. ix.