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capable de décider entre les divers modes de tenure du sol. Au risque de heurter également les adversaires et les partisans du mir, au risque de blesser certaines préventions ou traditions économiques, je confesse qu’à mon sens c’est ici le cas ou jamais d’appliquer le laissez-faire, le laissez-passer de nos vieux économistes.

Quand la propriété collective, suivant le type du mir, sortirait victorieuse de l’épreuve présente, pourrait-elle, s’acclimater chez des nations où l’étendue des terres et la densité de la population sont en de tout autres rapports qu’en Russie ? pourrait-elle se transplanter sur le sol de notre vieille Europe dont elle a presque entièrement été extirpée depuis des siècles ? À cet égard, les Russes les plus enthousiastes de la commune moscovite se font rarement illusion ; bien peu croient que leur institution favorite puisse jamais être importée en Occident. N’apercevant point, pour les nations modernes, d’autre ancre de salut, beaucoup déplorent que nous soyons inféodés à un mode de propriété, radicalement vicieux, qui doit tôt ou tard entraîner la chute de nos États les plus florissants.

Une chose certaine, c’est qu’une contrée comme la France, où, sous le régime de la propriété personnelle, la plus grande partie de la terre tend à passer dans la possession directe des cultivateurs, sera toujours peu tentée d’emprunter des institutions d’un autre âge ou d’un autre pays pour introduire chez elle une transformation qui se fait sans cela. Si jamais un peuple civilisé avait, sous une forme ou sous une autre, recours à ce qu’on a nommé la nationalisation du sol, ce serait plutôt un État comme l’Angleterre, où la population est pressée, le sol restreint et la propriété condensée en peu de mains. Dans un pays comme le nôtre, la démocratie même gagnerait peu à une telle révolution, si grande qu’elle semble. Le triomphe de la collectivité dans la propriété foncière ne serait point, en effet, le triomphe du communisme ni même de l’égalité des conditions, car,