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choix à faire ; il n’est pas juge dans le procès bruyamment plaidé autour de lui pour la tenure du sol. C’est au pays, et au peuple, avec le concours du temps, de rendre la sentence définitive entre les deux adversaires. Le pouvoir n’a, croyons-nous qu’à garder la neutralité, ne proscrivant, ne favorisant ni l’un ni l’autre, les abandonnant à eux-mêmes et leur laissant combattre leur propre bataille. Si, dans les plaines russes, la propriété collective et la propriété individuelle ne peuvent vivre côte à côte, les faits, les mœurs, les besoins du pays, l’intérêt personnel du cultivateur donneront naturellement gain de cause à la plus forte, à la plus utile, ou à la plus productive des deux rivales. Le mir ne peut-il se plier aux progrès de l’agriculture et aux exigences de la vie moderne, le mir se dissoudra peu à peu de lui-même, du libre consentement des communes, sans l’intrusion de la loi et de l’État.

Il n’y a pas de lois à faire contre les communautés de village ; sous l’empire de la législation actuelle, elles sont bien plus faciles à détruire qu’à reconstruire. Dans la lutte engagée entre elles deux, ce sera là, pour l’avenir, une grande cause d’infériorité de la communauté vis-à-vis de la propriété individuelle. S’il y avait un jour, dans un demi-siècle, dans un quart de siècle, à légiférer sur les terres communales, ce serait plutôt en leur faveur que contre elles, ce serait pour en sauver les débris au moyen de précautions légales, analogues à celles de la France en pareille matière[1]. Jusqu’à cette époque, que les dispositions actuelles du moujik font paraître encore éloignée, le mieux, pensons-nous, est de s’en fier au temps et à la nature, aux progrès de l’instruction et au libre jeu des intérêts, en un mot à la libre concurrence qui, plus que personne, est

  1. Déjà les avocats du mir voudraient que la loi rendît la dissolution des communautés moins aisée ; plusieurs même demandent que les domaines communaux soient entièrement soustraits aux empiétements de la propriété privée et déclarés inaliénables, comme dotation perpétuelle de la classe des paysans : ainsi, par exemple, M. Dmitri Samarine (Rous no 3, 29 nov. 1880).